Manifeste pour la Nature
Redonner sa place à la Nature, et nous, humains, en faire partie....
Il est grand temps de reconnaître la Nature comme une entité ayant les mêmes droits que nous, les humains. Il nous faut reconnaître un Droit pour la Nature de toute urgence.
Mais pourquoi me direz-vous ?
Je commencerais donc par vous dresser un constat de la situation, et il nous faut admettre, rationnellement, que ce constat est dramatique.
Les scientifiques ont établi qu’il y avait neuf limites planétaires, toutes en interrelation les unes avec les autres. Ce fait est reconnu par l’ONU depuis 2012. Le franchissement de l’une des ses limites aurait pour conséquence un bouleversement de l’état de la Terre en un état bien moins favorable au développement des sociétés humaines, entre autre. Ces limites sont : le réchauffement climatique, l’érosion de la biodiversité, la modification des cycles biogéochimiques (azote retiré de l’atmosphère, phosphore déversé dans les océans), l’acidification des océans, le trou dans la couche d’ozone, la surconsommation de l’eau douce, le changement de vocation des terres, la présence d’aérosols atmosphériques, la pollution chimique.
A ce jour, quatre de ces limites ont été atteintes : le réchauffement climatique (prévisions pessimistes du GIEC à +6°C à l’horizon 2100, nous sommes déjà à +2°C sur l’arc alpin), l’érosion de la biodiversité (nous sommes entrées dans la sixième extinction massive d’espèces c’est-à-dire une crise écologique où au moins 75% des espèces vivantes disparaissent), la perturbation des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore et l’acidification des océans.
Nous devons donc revoir immédiatement la place que nous occupons par rapport à la Nature. Notre vision occidentale, d’où dérivent nos modèles politiques, sociaux et économiques, nous amènent depuis fort longtemps à nous placer en dehors de la Nature et en domination sur elle : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. » (Genèse, 1 28).
Ces écrits ont donné légitimité à l’homme pour se placer en conquérant de la Nature. En balayant l’Histoire d’un regard, on voit que cela touche aussi bien l’occupation des terres, les ressources, la colonisation, la domination des peuples autochtones....
Ce modèle est devenu le modèle dominant à travers le monde : la Nature est au service de l’Homme afin de pourvoir à ses besoins, des besoins qui se sont bien éloignés des besoins naturels. Ce rapport de chef d’orchestre, et de considération de la Nature comme étant « l’environnement » de l’homme, nous mène au constat précédent. L’enjeu est donc de renverser notre vision des choses, notre vision occidentale de notre rapport à la nature, et comme le dit par exemple l’anthropologue Philippe Descola, « d’arrêter de séparer nature et culture ». Nous devons retrouver notre place dans la symphonie et retrouver la perception que nous sommes en relation avec la Terre.
Afin d’atteindre cet objectif, une des premières actions à mener à mon sens, est de stopper les désastres écologiques engendrés par les grandes puissances économiques, multinationales et certains Etats. Pour cela, il nous manque des moyens d’actions internationaux au niveau de la justice. Il faut que nous nous mobilisions pour la reconnaissance du crime d’écocide comme crime contre la paix au même titre que le crime de guerre, le crime contre l’humanité, le crime de génocide et le crime d’agression. Ecocide, de racine grecque et latine, veut littéralement dire « tuer la maison ».
L’écocide ne devrait pas pouvoir se soustraire à une juridiction internationale au nom de la souveraineté nationale, ni se négocier par des instruments de marché et d’échange de droits. Communs planétaires, systèmes écologiques, limites planétaires : ces normes scientifiques permettraient de poser le cadre où nous serions en capacité de protéger l’environnement global de façon supranationale, avec une juridiction possible sur des territoires nationaux quand des écosystèmes vitaux sont menacés. Cela pourrait nous donner le moyen de placer, la Nature et son droit à exister dans de bonnes conditions, avant les enjeux économiques.
Au contrepoint des actions internationales qu’il est nécessaire de mener, nous pouvons tous être moteur du changement à notre échelle. C’est le cas dans une multitude d’endroits dans le monde, d’une multitude de manière. Nous ne pouvons que nous réjouir des initiatives qui pullulent. La prise de conscience de la nécessité de ces changements est présente dans les pays occidentaux : développement de l’agriculture biologique, développement des circuits courts et recherche d’une économie de proximité, monnaie locale, expérimentation de nouveaux système de gouvernance... Un certains nombre de films montrent que ce combat revêt aussi des actions extrêmement positives, et que ces changements qui se profilent ne sont pas forcément à vivre comme des contraintes. En effet, ces modifications sont aussi des opportunités. Cela ouvre la possibilité d’un renouveau des idées, d’un monde plus juste avec plus de liens, plus de justice sociale, où être heureux devient l’enjeu principal. La décroissance est à vivre comme une sobriété heureuse où les rapports humains et avec la Nature sont épanouissants : « moins de biens, plus de liens »...
Mais entre les actions internationales, et les initiatives locales individuelles et collectives, il reste quand même un « gros morceau » qui se doit d’être moteur de la prise de conscience et du changement de paradigme, ce sont les États.
A mon avis, à l’heure actuelle, il est impératif de changer nos modes de gouvernance. Nous touchons les limites d’un système pseudo-démocratique, où le peuple, en votant (en mettant un bulletin dans l’urne), se désengage de toute implication politique, sociale et sociétale. Il est temps de remettre la politique, au sens de la vie de la cité, au centre de nos vies. Et dans le même temps, ce travail doit se faire en renouant avec la Nature, et je pense, en s’inspirant des modes de fonctionnement des peuples autochtones.
Nous sommes là dans une vision d’expérimentation de modèles politiques, et c’est là où les expérimentations à petite échelle, peuvent nous donner des perspectives sur des modes de gouvernance à des échelles plus importantes. Il va nous falloir redéfinir la citoyenneté, car la citoyenneté moderne va de pair avec le développement de l’état libéral démocratique.(T.H. Marshall Citoyenneté et classe sociale). Il va également nous falloir prendre en compte que dans la pensée autochtone, la gouvernance est la façon dont les gens vivent ensemble ou structurent leur société en rapport avec le monde naturel. En d’autres termes, c’est l’expression de la façon dont ils se perçoivent dans ce monde comme partie intégrante du cycle de la vie, non comme des êtres supérieurs qui cherchent à dominer les autres espèces et les autres humains.
Enfin, il est urgent de reconnaître à tout élément de la Nature au même titre que l’être humain, le droit à exister, à vivre, s’épanouir et grandir, à se défendre. Cela pourrait passer par un statut juridique de personne morale. Une réelle évolution est en marche dans ce sens, mais il est primordiale d’accélérer cette phase là afin de nous replacer « dans » cette Nature et non plus « en dehors ». Au même titre qu’un enfant n’ayant pas la capacité de s’exprimer, à qui l’on désigne un adulte pour le représenter, les éléments de la Nature devraient être représentés et avoir leur mots à dire dans nos décisions. Certains états du sud sont précurseurs dans cette reconnaissance.
L’Équateur a reconnu en 2008 la Pacha Mama, la « Terre-Mère », dans sa constitution : c’est une base pour la reconnaissance des droits de la nature. La Nature est devenue un sujet de droit et ses valeurs propres sont désormais reconnues. Au printemps 2017, la Nouvelle-Zélande reconnaît à une rivière, le Wanghanui ou Te Awa Tupua en maori, une personnalité juridique, avec ses droits et ses devoirs. Les Maori se battaient depuis 1870 pour la reconnaissance de ce droit. Le fleuve sera représenté par un membre de la tribu et un membre du gouvernement. La tribu est le gardien du fleuve, pas son propriétaire. En Inde, c’est le Gange et le Yamuna qui ont été reconnus comme des entités vivantes ayant le statut de personne morale par la Haute Cour de l’Etat Himalayen de l’Uttarakhand, avec la reconnaissance par l’État Indien central qui est en cours.
Ainsi nous nous positionnons à égalité avec tous les éléments de la nature.
Seule l’ensemble des ces actions menées dès à présent permettrait de freiner la dégradation de la Terre. Ainsi, nous parviendrons à atténuer les bouleversements et souffrances qui sont engendrées par les changements qui ont déjà commencés, et qui vont continuer : guerres, migrations, famines, épidémies.... Tendre vers une forme de sobriété est la seule alternative pour l’être humain, et cela peut-être une fantastique aventure. De plus, en accordant un droit à la Nature, nous donnons la parole aux non-humains, nous considérons que nous ne sommes plus les seuls à avoir des droits, et ainsi nous changeons notre rapport à notre planète et recréons des liens avec la nature. Tout cela est à notre portée, il faut s’autoriser à imaginer des alternatives et avoir des utopies que l’on tend à vivre... C’est l’avenir de l’humanité qui est en jeu.