Une souris verte
conte réalisé lors d’un atelier d’écriture à la médiathèque de Tallard
Il était une fois une souris verte, écolo en diable, souriciste convaincue, qui rêvait de créer un autre monde : un univers débarrassé des méchants.
Un beau jour ou était ce une nuit ? alors qu’elle promenait son museau en quête de quelque pitance, elle osa s’aventurer à l’orée d’un bois de pins. A sa vue, chaque arbre se mit à chanter « Elle est des nôôôôtres, elle a pris son vert comme les auautres ! ».
Tenant compte des vieilles histoires entendues concernant ce bois, elle musardait tout en restant à l’écoute des bruits et des rumeurs de cette pinède encalanquée : le hululement de la hulotte, la musaraigne traçant sa route dans les aiguilles de pins, le flux et le reflux de la mer agitant les calcaires de la côte.
Tout à sa quête attentive, elle ne vit cependant point le loup garou bien caché derrière un beau pin.
Quand soudain, le garou passant à l’attaque, se jeta sur elle pour n’en faire qu’une bouchée.
Totalement sidérée sous l’afflux de l’adrénaline, elle tente l’esquive. Pas assez vite ; une énorme griffe s’abat sur elle la blessant jusqu’aux entrailles.
Miracle ! dans un sursaut de vie, elle réussit à échapper à l’agresseur en trouvant refuge au creux d’un arbre qui, aussitôt se met à chanter : « Elle est des nôôôôtres, elle abrit’ son vert comme les auautres ! »
Dans cette excavation, la patte du loup ne pouvait l’atteindre. Haletante, ensanglantée, elle se coucha sur le flanc toujours à l’écoute du garou qui cherchait une solution pour l’atteindre. L’attente a duré la nuit entière et tout le lendemain. Finalement lassé, le loup garou s’en est allé chercher ailleurs une autre victime.
Souris Verte, à grand coups de langue tentait de panser ses plaies, pensant bien que sa belle peau d’écolo était marquée à jamais ; et resta dans cet abri de fortune de nombreux jours. Combien ? Vous n’avez qu’à imaginer, cher lectorat, le temps nécessaire à ce que le coeur s’apaise et que l’organisme répare l’outrage.
Finalement, apparemment requinquée, elle passa à l’exploration de son gîte improvisé. Elle trouva un conduit descendant en pente douce vers l’intérieur du karst.
Attention les papattes, il y a des silex pointus qui affleurent.
Sa descente prend fin dans une immense salle stalagmititée [1]. Là, dans la nuit de la caverne, le sort lui sourit, elle voit briller des silex. Le coeur empli d’émotion, elle a découvert le sceptre de la méchanceté. La légende avait donc raison !
Elle avait ouï l’histoire de son existence au fond des bois sans connaître son véritable pouvoir. A la surface, la pinède accompagne sa découverte de son refrain « Elle est des nôôôôtres, elle a pris son vert comme les auautres ! »
Néanmoins, avec fébrilité, elle s’empara du sceptre et le traîna vers la sortie. Dans sa remontée, les silex de ce sceptre, lourd à porter pour son petit corps meurtri, venaient se frotter à ceux du chemin. Si bien qu’à peine émergente au jour, l’arbre, son sauveur, s’enflamma, communiquant le feu à toute le pinède. Depuis leur bûcher johannique [2], les beaux pins entamèrent un autre refrain : « Elle n’est plus nôôôôtre, elle a mis le feu comme les auautres ! ». Tout aussitôt, elle courut se mettre à l’abri d’une avancée de rochers où elle attendit que l’incendie soit consommé.
C’est couverte de cendres qu’elle retourna auprès des siens qui, la découvrant ainsi porteuse du deuil [3] de la virginité de sa peau souillée, décidèrent, à compter de ce jour de l’appeler Cendrine.
Cependant, le clan des souris vertes ne savait pas que sous la cendre couvait l’énergie folle de la haine et de la revanche.
Avec l’appui du sceptre magique, elle a commencé à déployer tout azimut, une formidable agressivité contre les loups-garous et tous les animaux qui leur ressemblent. « Ce ne sont que des prédateurs qui n’ont qu’un seul but : asservir le monde animal. »
Puis, Cendrine s’en prit à ses propres congénères : les souris blanches (les hospitalières) et les souris rousses (les rurales) qu’elle réussit à réunir sous son empire, reléguant les bleues marines (les pêcheuses) aux confins de son territoire.
Pour marquer ce rassemblement vert, blanc, roux, elle pris en épousailles un mâle roux. En son honneur le peuple en joie chanta : « Il est des nôôôôtres, il a pris sa verte comme les auautres ! »
Bien que célébrant cette union, le peuple des souris le jugea idiot de céder à une telle alliance. D’ailleurs, l’ensemble des muridés [4] ne tardèrent pas à le qualifier de roux sot !
Effectivement, il commença vite à déchanter sous l’autorité exacerbée de son épouse. Pour lui, les temps devenaient difficiles. Pour marquer sa déconvenue, il fit son propre refrain : « Ma femme veut jouer les Présidents, elle dit que c’est très plébixcitant, pour lui montrer que j’ suis un homme, je dois lui dire par référendum » [5]
Continuant sur sa lancée, toujours gouvernée par le sceptre, Cendrine, que désormais le peuple surnommait « la Roussot » par allusion au pseudo de son époux, lui proposa un nouveau contrat social éco-souriciste présenté aux médias comme la critique des dominations et des dégâts causés aux territoires par tous ces prédateurs, oubliant au passage que c’était elle qui avait mis le feu à la pinède.
Cendrine suggéra de ne faire plus qu’appel aux sentiments et aux émotions pour gouverner les muridés en abandonnant toute rationalité et en revenir au bon sens !
Mais peu à peu, la population, toutes espèces confondues, commença à se lasser des dérives autoritaires et réactionnaires de Cendrine. Les contestataires se regroupèrent en milices, armèrent leurs griffes de métal tranchant ….
Et puis un jour, ils décidèrent de voler le sceptre de la méchanceté et le jetèrent à la mer.
Démunie de son pouvoir, c’est sans résistance que Cendrine se laissa appréhender pour être incarcérée, jugée et condamnée à être mise au pilori, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Ainsi exposée à la vindicte populaire, aux crachats et quolibets, Souris Verte s’interrogea tout le temps que dura son supplice.
Combien de temps ?
Vous n’avez qu’à imaginer, cher lectorat, le temps nécessaire à ce que le coeur cède enfin, pour réparer la méchanceté.
Dans son délire, lui revint peu à peu le souvenir de la grotte stalagmititée.
Dans sa précipitation pour s’emparer du sceptre de la méchanceté, elle a oublié une partie de la légende qui disait qu’à coté du sceptre se trouvait une pierre précieuse.
En expirant, dans la vision kaléidoscopique de sa vie, elle voit enfin Boris, la précieuse pierre de la résilience, délaissée par son empressement, sur laquelle était gravé en lettres d’or : « le pouvoir du sceptre corrompt les plus belles et généreuses idées. A toi de choisir. »
Tallard et Ancelle,
les 5 et 8 novembre 2022
[1] Salle garnie à la fois de stalagmites qui montent et de stalactites qui tombent. Un seul mot pour résumer : vive les néologismes !
[2] Le bûcher de Jeanne d’Arc : tu suis ou quoi ?
[3] Coutume juive de se couvrir la tête de cendres en signe de deuil
[4] Famille de mammifères terrestres appartenant à l’ordre des rongeurs
[5] Les temps difficiles (suite) de Léo Ferré